Un enjeu pour l'avenir : la ruée vers l'eau
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Maggie White, est Responsable des Politiques Internationales à l'Institut International de l'eau de Stockholm, elle nous évoque les enjeux de l'eau, un bien vital, trop souvent considéré comme un acquis, et dont il faut prendre soin.
Quelles sont les problématiques actuelles concernant l’eau ?
Le problème c’est que l’eau est tellement présente dans notre vie que finalement elle n’est nulle part. On connaît les grands chiffres, mais on ne ne sait pas forcément ce qu’ils veulent dire, ni leur impact. Notre planète est certes constituée à 70% d’eau, mais on ignore souvent que sur ces 70%, seulement 1% est constitué d’eau douce, et que sur ces 1%, 0,3% est de l’eau douce accessible, le reste se trouvant dans les glaciers.
De plus, si 8 millions de personnes sont privées d’eau potable, ce qui est déjà énorme, ce sont 2 milliards de personnes qui n’ont pas accès à une eau de qualité. Or, sans accès à l’eau, on ne peut tout simplement rien faire. Sans parler du fait que cela joue sur la santé, qu’elle provoque maladies et décès, notamment sur les enfants. Dans certains pays, les petites filles ne peuvent pas aller à l’école car elles sont de corvée d’eau. L’accès à l’eau, ou plutôt le non accès à l’eau, a un impact sur tout.
La majorité des catastrophes liées au changement climatique se manifestent par l’eau. Elle est au coeur de tous les enjeux de développement. Si on la gère bien, cela a un impact direct sur le durable.
Le problème c’est que les investissements dans le domaine de l’eau sont de moins en moins importants. Alors qu’investir dans l’eau c’est investir dans tout quand on y regarde de près. Preuve en est : la petite fille qui n’est plus de corvée d’eau a le temps pour son éducation.
On a tendance à se focaliser sur le petit cycle de l’eau : comme la production de l’eau potable pour le robinet par exemple, alors qu’il faudrait penser grand cycle, à savoir celui qu’on apprend à l’école : l’eau vient de la neige des montagnes, puis plonge dans la mer et remonte ensuite dans l’atmosphère, pour revenir en pluie etc…
Il faut savoir que les 8 plus grands bassins dans le monde, L’Amazone, le Congo, le Nil pour ne citer qu’eux, sont responsables de la majorité de la pollution sur notre planète.
80% de nos eaux usées arrivent tout droit dans la mer : eaux usées industrielles, eaux de nos toilettes, de l’agriculture. Et elles plongent dans la mer sans avoir été traitées !
Avant l’industrialisation et l’agriculture de masse, la nature était encore capable de traiter toute seule son eau, elle la filtrait en quelque sortes. Mais aujourd’hui, avec tous les produits toxiques, c’est devenu impossible. La Mer est une poubelle, il n’y a pas d’autre mot. En dehors du fait que celle-ci se retrouve directement dans notre assiette, ce qui est déjà suffisamment alertant, un autre aspect éminemment important est à prendre en compte : les océans sont notre équilibre, ils produisent 50% de notre oxygène et absorbent 30% de notre CO2, ce qui est colossal. Or, nous sommes en train de tuer la biodiversité maritime qui joue justement ce rôle de régulateur.
Y’a t-il une réelle prise de conscience ? Peut-on parler de changements, d’avancées ?
Il y a une prise de conscience mais pas encore suffisante. Les avancées existent mais c’est trop long. On a beaucoup de mal à repenser l’eau, à revenir sur sa valeur, à la voir comme un facteur primordial qui joue certes sur l’environnement, mais aussi sur l’économie, le social etc… Pour le collectif c’est juste un bien, et un acquis pour ceux qui en disposent, mais c’est tout.
Alors que toutes les villes, tous les villages se sont construits autour d’un point d’eau, on l’apprend d’ailleurs à l’école. Les fleuves pour les villes, les puits pour les villages. Il suffit de regarder les cartes du monde pour voir à quel point c’est réel. L’eau a toujours été une source protégée, mais le problème c’est qu’on a trop bétonné autour, elle ne peut plus s’infiltrer dans les sols et s’évacuer.
Il y a cependant des villes aujourd’hui qui se veulent résilientes et durables. Par exemple il y a des pays qui réutilisent les eaux de pluie. Il faut savoir qu’en France, l’eau de nos toilettes est la même que celle que l’on boit à notre robinet. Dans certains pays, ils ont pris le parti d’utiliser de l’eau de pluie pour ce genre d’utilisation ou pour la lessive. En France ça ne s’est pas fait car cela suppose deux réseaux au sein d’un même bâtiment, et il existe une peur de se tromper, ce qui induirait bien sûr de grosses complications sanitaires.
Quels sont les gestes à adopter ?
La meilleure eau est celle qu’on n’utilise pas. Plus on consomme, plus on pollue, ça va de pair. L’agriculture est responsable à 70%, 80% de la pollution, les industriels de 10 à 20% et les particuliers de 10 à 20% aussi.
On peut commencer par des gestes chez soi. Par exemple, de nombreux produits domestiques qu’on utilise et qui repartent ensuite dans les eaux usées sont polluants : produits d’entretien, de lessive, de lave-vaisselle, mais aussi shampoing, gel douche, dentifrice etc… Si on achète des produits moins toxiques, l’impact est direct. Essayer de garder l’eau la plus propre possible peut être un objectif individuel, qui aura un impact sur le collectif.
De plus en France, nous sommes les plus gros consommateurs d’eau en bouteille. C’est une hérésie ! Surtout lorsque l’on sait qu’on est aussi un pays où l’eau du robinet est la plus potable. A Paris par exemple, l’eau est transportée avec un produit pour qu’elle ne touche pas les canalisations. Pour plus de sécurité quant à l’eau stagnante, il suffit juste de laisser couler un peu l’eau du robinet avant de l’utiliser, mais c’est une eau d’excellente qualité qui arrive directement dans la cuisine ou dans la salle de bain.
Cela dit, en France, contrairement à d’autre pays, une taxe a été implémentée dans la facture d’eau, « une taxe pollueur » en quelques sortes.
Que serait un monde pensé en fonction des problématiques de l’eau ?
Première chose : on pense trop en quantité et pas assez en qualité. Il faut inverser la tendance. L’eau n’est pas seulement un service, elle doit être au coeur et au centre de la qualification urbaine. Il faut penser tous les systèmes et usages en amont. Il est possible de créer un cercle d’économie vertueux : Réduire, Réutiliser, Recycler. Quoi mieux que l’eau se prête à ces trois R ?
L’eau n’est pas qu’une source de pollution, elle est aussi source de solutions. On peut créer de l’énergie avec les eaux usées. Même avec la boue ! Dans notre jargon, on parle d’adaptation et d’atténuation. La majorité des énergies propres ne peuvent exister sans accès à l’eau. Or, on ne présente jamais l’eau sous cet angle. Les professionnels qui travaillent dans l’eau sectorisent trop leur activité sur leur cycle et pas assez sur le grand cycle.
Eau de Paris, en revanche, a pris l’initiative de penser plus large. Elle fait un travail énorme avec les agriculteurs d’Ile de France afin de les inciter à se convertir au bio, ce qui préserve les bassins, est bon pour l’environnement, mais aussi pour Eau de Paris.
Concernant l'eau, il faut donc dépasser le petit cycle de l'eau, celui de notre robinet, et réapprendre à la considérer comme un bien essentiel et non comme un acquis. Il faut une réflexion globale, intégrée et holistique qui s’attache à l’ensemble de la problématique.