Construction et rénovation en terre crue
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C’est l’un des plus vieux matériaux du monde, mais aussi le plus responsable : la terre crue, matériau utilisé depuis des millénaires, regagne les chantiers d’aujourd’hui pour construire et rénover. La Grande Muraille de Chine, les 4 villes impériales du Maroc, le quartier de la Croix-Rousse à Lyon : partout dans le monde, des millions de femmes et d’hommes sont logés dans des constructions en terre crue. Si le savoir ancestral lié à l’utilisation de ce matériau écologique s’est érodé à travers le temps, il revient au goût du jour, contexte écologique oblige. La terre crue reste un matériau d’avenir, tant que l’on sait comment l’employer et à quels autres matériaux l’assembler. Zoom sur cette technique qui a fait ses preuves…
La terre crue : quels avantages, quelles précautions ?
Employée depuis des millénaires, la terre crue présente des avantages non négligeables. C’est un matériau peu onéreux, disponible localement, idéal pour une logique d’écoconstruction. Dense, poreuse et dotée d’une bonne inertie thermique, elle contribue à une excellente régulation de l’humidité dans le bâtiment et au lissage des températures intérieures, notamment en cas de canicule. Sa résistance a fait ses preuves, en témoignent de nombreux bâtiments pluri centenaires toujours debout…
Côté isolation, elle peut avantageusement être utilisée en correction thermique dans le cas de bâtiments anciens où il faut veiller à une parfaite compatibilité entre matériau isolant et matériau des murs. Enfin, en enduit ou en badigeon, elle apporte un côté déco authentique, sobre et naturel dans l’air du temps.
Par contre, construire ou rénover en terre crue ne s’improvise pas. En effet, la terre crue doit être à l’abri de l’eau liquide pour conserver sa cohésion… Les murs extérieurs en terre crue sont ainsi généralement montés sur des soubassements de pierre ou en briques (qui font office de fondations) entourés d’un drain ou d’un revêtement perméable et revêtus d’un enduit respirant et d’une toiture bien étudiés pour les mettre à l’abri des intempéries. De même, la ventilation à l’intérieur du bâtiment doit être optimale pour bien évacuer une éventuelle humidité excessive.
Côté isolation thermique, il faut savoir que pour avoir des résistances thermiques suffisantes par rapport à la règlementation, le matériau terre, même s’il est épais, ne se suffit généralement pas à lui seul. En rénovation, les techniques de ré-isolation de ces produits vont être clés, et doivent être bien choisies pour conserver les caractéristiques et la cohésion des murs en terre. Les produits en fibre de bois et les matériaux biosourcés en règle général sont bien adaptés à l’isolation des bâtiments traditionnels en terre crue.
On peut classer la terre crue en 3 catégories principales de construction : les techniques porteuses, les techniques de remplissage et les enduits.
Construction en terre crue : les techniques porteuses
On appelle techniques porteuses tous les procédés de fabrication en terre crue permettant d’élever les murs porteurs. Il existe 5 façons d’utiliser la terre crue pour ce type d’ouvrage :
- L’adobe ou brique de terre crue
- La bauge
- Le pisé
- Le BTC, pour Bloc de Terre Compressée
- La brique extrudée
L’adobe, la brique de terre crue
Les briques d’adobe ou briques de terre crue sont utilisées pour les constructions dites porteuses. Un procédé très ancien, répandu à travers le monde entier, et qui a été largement utilisé en France pour la construction de notre patrimoine.
La brique est réalisée à partir d’une terre moulée puis séchée à l’air libre. Le moulage de la brique peut se faire manuellement ou être mécanisé. Le séchage est la plus longue étape de fabrication, puisqu’un mois est nécessaire. La dimension de la brique d’adobe a évolué à travers le temps. Au 19ème siècle les briques de terre crue étaient de 38cm X 28 cm x 4,9cm ; aujourd’hui, le format couramment employé varie de 22 à 40cm par 10 à 15 cm et 6 à 10 cm.
L’élaboration d’un mur porteur en brique de terre crue se réalise sur un soubassement en pierre, qui sert de base de structure porteuse. Les façades du mur extérieur sont enduites de terre ou à la chaux. L’épaisseur du mur fait en moyenne entre 30 à 50 cm.
Quant à son utilisation en France, on retrouve encore ce procédé de fabrication dans plusieurs régions, notamment l’Île de France, mais en majorité dans le Sud-Ouest en Gascogne.
L’utilisation de la brique en terre crue pour la construction de murs porteurs demande un véritable savoir-faire, car les problèmes généralement rencontrés, comme l’humidité ou les fissures, sont dus à une méconnaissance du matériau et à l’utilisation de mortiers non compatibles. C’est pourquoi les nouvelles constructions n’utilisent que très rarement aujourd’hui l’adobe, mais se tournent davantage vers une terre crue plus industrialisée comme le BTC, le bloc de terre compressée, et la brique extrudée.
Le bloc de terre compressée et la brique extrudée
Le BTC est un matériau récent qui se veut répondre à un besoin de construction durable et écologique. Il est réalisé à partir de terre argilo sableuse, de chaux ou de ciment, avant d’être compacté dans une presse.
Même si le bloc de terre compressée entre dans les techniques de construction porteuse, il est rarement utilisé pour l’élévation des murs extérieurs, et ce pour préserver le matériau du gel et des autres contraintes climatiques. Les maçons l’utiliseront ainsi davantage pour l’élévation de mur de refend, de murs chauffants, de murs de masse ou encore comme cloison. Il peut également venir remplir des murs en ossature bois.
De son côté, la brique extrudée est un matériau cuit. Elle est réalisée à partir de terre argileuse. Bien qu’utilisée pour élever des murs, ceux-ci ne sont jamais porteurs. On usera de la brique extrudée pour la création de cloisons et murs intérieurs non porteurs. Les industriels continuent leur recherche pour réussir à user de ce nouveau type de briques pour les murs porteurs.
La bauge
Cette technique de construction est souvent retrouvée dans les anciennes habitations de l’ouest de la France. Une technique porteuse, souvent invisible à l’œil nu car elle est cachée sous un enduit.
Parfois confondue avec le pisé, la bauge se constitue de terre, de fibres végétales comme la paille de blé, d’orge ou de roseau, ou de fibres animales, d’eau, et de sable en fonction de la qualité de la terre. Lors de sa mise en œuvre, la bauge est étalée sur 20 centimètres d’épaisseur, elle est humidifiée, puis malaxée jusqu’à l’obtention d’une pâte molle. On la recouvre alors de fibres, avant de la malaxer une nouvelle fois. Après un temps de repos, on passe à une mise en œuvre par entassement.
L’élévation des murs se fait sur un soubassement de pierres ou de brique, par étape, à la main ou à la fourche, puis à la pelle ou au pied. Entre chaque élévation ou levée de 60cm, un temps de séchage de 4 semaines est recommandé. L’ouvrage est long à mettre en place, et demande d’être protégé de la pluie durant le séchage. Après l’élévation d’un mur en bauge, on peut le recouvrir d’un enduit en terre, ou à la chaux.
L’utilisation de la bauge comme technique de construction est très répandue en France : Normandie, Bretagne, Pays de la Loire, Vendée, Midi-Pyrénées, Camargue… Mais la technique est peu utilisée de nos jours en construction. Elle reste employée pour la restauration ou la réhabilitation d’anciennes bâtisses.
Le pisé
C’est sans doute la technique de construction en terre crue la plus connue, utilisée depuis l’antiquité. Elle apparaît en France après l’Empire Romain ; le plus grand patrimoine de construction en pisé se trouve dans la région Auvergne Rhône-Alpes, mais on retrouve des constructions neuves en pisé dans toute la France.
La terre à pisé est un mélange de graviers, de sables, de limons et d’argile. Elle est utilisée pour élever des murs porteurs qui bénéficient d’une excellente isolation thermique. La construction en pisé se fait toujours de façon dite traditionnelle. Elle prend place dans un coffrage avant d’être damée en lits successifs. La terre prend par compactage. Lorsque la première levée est sèche, alors le coffrage est démonté, puis installé au-dessus pour réaliser la prochaine levée. Entre chaque lit de terre on trouve un lit de chaux, qui permet d’assurer une meilleure stabilité de l’argile lors de la construction et évite l’affaissement lors de la mise en œuvre. C’est ce qui donne cette architecture caractéristique si particulière au pisé avec ces lignes blanches régulières. Les murs reposent toujours sur un soubassement en pierre ou en galet qui évitent les problématiques d’humidité.
Si nos ancêtres utilisaient des coffrages en bois et la seule force de leur main pour élever un mur en pisé, aujourd’hui les levées sont simplifiées. Le coffrage est métallique et peut coulisser. Une nouvelle mise en œuvre qui permet d’avoir un pisé encore plus compact, plus dense.
Le pisé a aujourd’hui la cote pour la réalisation de maison individuelle, comme pour des immeubles de petites tailles. Il peut être employé aussi bien pour l’élévation des murs porteurs, que pour les cloisons et murs intérieurs.
Construction en terre crue : les techniques de remplissage et doublage
Il s’agit ici non plus d’élever des murs, mais d’utiliser la terre crue pour remplir les murs ou doubler les cloisons. On peut ainsi isoler l’ossature de son habitation avec la terre crue et améliorer l’inertie thermique du bâtiment, ce qui est très intéressant pour conserver un intérieur frais même en pleine canicule. Des techniques qui reposent sur deux typologies d’ouvrage :
- La terre paille
- Le torchis
La terre paille appelée également terre allégée
Cette technique de remplissage en terre crue est plutôt récente, puisqu’elle est apparue chez nos voisins Allemands après la première guerre mondiale. En France, elle a le vent en poupe depuis une dizaine d’années.
La terre paille ou terre allégée se constitue de terre argileuse, de paille de blé ou de sarrasin pour le compactage, de paille d’orge ou d’avoine pour la préfabrication, et de l’eau. Sa fabrication se fait avec une terre à l’état liquide que l’on vient mélanger à la paille pour enrober les fibres.
Le mélange va être compacté à la main, et installé dans un coffrage qui contient l’ossature en bois de l’habitation. On peut utiliser la terre paille pour remplir et doubler les murs porteurs et non porteurs, les cloisons, les toitures ou encore le plancher. Elle peut également être réalisée sous forme de panneaux ou de briques afin d’être posée tout au long de l’année.
Le doublage réalisé à l’aide de la terre paille ou terre allégée fait généralement 30 cm, mais on peut descendre son épaisseur jusqu’à 15 centimètres.
En construction neuve aujourd’hui, la terre paille s’utilise pour le remplissage d’ossature de maisons individuelles. En doublage, elle est principalement utilisée en rénovation pour un bâti en pierre ou une ossature bois.
En France, cette technique se trouve essentiellement dans le Sud, même si son application est aussi présente comme complément d’isolation dans les régions à torchis, comme le Nord, l’Alsace et la Champagne.
Le torchis
Technique ancienne, le torchis était utilisé dans les régions où le bois ne manquait pas, mais où la pierre de construction se faisait rare.
Le torchis est faire d’une terre qui peut être limoneuse ou légèrement argileuse, de fibres végétales, d’eau, de sable ou de gravier en fonction de la qualité de la terre utilisée. On fabrique le torchis en mélangeant la terre aux fibres végétales.
Sa mise en œuvre diffère selon les régions où le torchis est utilisé.
On dénombre 3 principaux supports pour l’utilisation du torchis :
- Le clayonnage : il consiste à un tressage de baguettes sur des barreaux insérés entre les ossatures bois. Une méthode utilisée en Alsace, en Bresse ou encore en Lorraine.
- Les éclisses : il s’agit de branchettes ou de palissons dont les extrémités sont glissées dans un rainurage qui prend place sur les parois internes des pièces du colombage. Une méthode que l’on retrouve en Champagne et dans le Sud-Ouest.
- Le lattis, une méthode qui prend l’apparence d’un coffrage en bois pour insérer le torchis. Une technique utilisée en Picardie ou encore en Normandie orientale.
Les techniques et épaisseurs utilisées pour le montage des murs dépendent de la section des bois des bâtisses. Traditionnellement en Normandie ou en Alsace, les maisons de maîtres étaient en en bois, des maisons plutôt bourgeoises avec de belles sections de bois, suffisamment large pour être apparente. Dans ces régions la brique était, elle, réservée au maisons agricoles et ouvrières.
Dans le nord, c’est l’inverse, la maison bourgeoise était souvent en brique, et c’est la maison de l’ouvrier agricole qui était en torchis, avec des sections de bois de moins bonne qualité et plus fines, donc nécessairement totalement enrobées par le torchis pour les protéger.
Si le pisé est souvent présent sans enduit car présentant des épaisseurs importantes, c’est rarement le cas pour le torchis, presque toujours enduit : c’est la raison pour laquelle en Picardie par exemple, nombreux sont ceux qui ne savent même pas que leur maison est en torchis. D’où l’importance de faire appel à un artisan expérimenté pour la rénovation des façades, un enduit non adapté (type ciment ou RPE) pouvant engendrer une dégradation accélérée, et du matériau terre, et de la structure bois lorsqu’elle est présente.
De nos jours, la méthode la plus souvent employée, et ce dans toutes les régions, est la technique du lattage cloué.
Le torchis est rarement employé en construction neuve, si ce n’est pour des doublages de cloisons intérieures et de planchers. Le torchis n’est pas conforme à la RT 2012 pour les murs extérieurs.
Construction en terre crue : les enduits
L’enduit en terre crue est composé classiquement de terre, d’eau, de sable si besoin, et de fibres végétales ou animales. En fonction de la finition souhaitée, on peut lui ajouter des colorants naturels ou artificiels. On peut également ajouter à l’enduit en terre crue une chaux aérienne ou hydraulique naturelle, pour les façades des bâtiments exposés aux intempéries.
L’enduit en terre crue s’applique en plusieurs couches, plusieurs étapes, en fonction de l’ouvrage :
- Le renformis, lorsqu’on utilise l’enduit pour reboucher des trous ;
- Le gobetis, qui permet de préparer la surface pour accrocher l’enduit ;
- Le corps d’enduit : il s’agit de la couche d’enduit à appliquer sur l’ouvrage ;
- La finition, qui va donner l’aspect final, la texture et l’esthétique de l’ouvrage ;
- Le badigeon, pour une finition plus légère.
Si on aime le rendu sobre et très authentique de l’enduit en terre crue, il a d’autres avantages. Il participe au confort hygrométrique de l’habitat, contribue à une qualité de l’air intérieur optimale, et apporte un complément d’isolation. C’est pour cette raison qu’on le retrouve de plus en plus utilisé en intérieur. Il a également un aspect déco qui plaît de plus en plus. En extérieur, il s’agira davantage de réhabilitation d’un bâti ancien fait intégralement ou en partie en terre crue.